Portrait – Thierry Tanoh : « Les Africains doivent se surpasser » 


Thierry Tanoh : « Les Africains doivent se surpasser »

Vice-président et directeur Afrique subsaharienne de l’International Finance Corporation (IFC), filiale de la Banque mondiale, cet Ivoirien diplômé de Harvard milite pour l’assainissement de l’environnement des affaires, le développement des infrastructures et la promotion du secteur privé sur le continent.

Entre Johannesburg, la ville où il est basé, un bureau à Paris et le siège de son institution à Washington, Thierry Tanoh, qui pilote une équipe de plus de sept cents personnes, a les caractéristiques d’un homme pressé. Mais il sait prendre le temps d’écouter et de comprendre, d’expliquer, d’argumenter et de convaincre. À 47 ans, cet Ivoirien est le premier Africain francophone à occuper, au sein des institutions de Bretton Woods, un poste de vice-président opérationnel.

À l’International Finance Corporation (IFC), la filiale de la Banque mondiale chargée du développement du secteur privé, il ne s’occupe pas que de l’Afrique subsaharienne. Il est également chargé de l’Europe occidentale, ainsi que de l’industrie, des services, de la santé, de l’éducation et de l’agro-industrie. Ces multiples casquettes ne l’empêchent pas, lorsqu’il évoque l’Afrique, de parler de « notre » continent, de « nos » pays, de « nos » chefs d’État. Alors reviennent sans cesse, telle une supplique, les mots leadership et vision. Il en faut, insiste-t-il, pour impulser les avancées décisives qui permettront de développer l’Afrique.

Thierry Tanoh a fait l’essentiel de ses études en Côte d’Ivoire. Diplômé de l’École supérieure de commerce d’Abid jan, il part décrocher un diplôme d’expert-comptable en France, travaille quelques années dans le bureau parisien d’un cabinet international de consulting, puis à la Commission bancaire de l’UEMOA. Mais ce fils de professeurs ressent le besoin d’ajouter une dimension plus prestigieuse à son cursus. Ce sera Harvard.

À la lecture de sa lettre d’admission à Harvard, le consul des États-Unis à Abidjan le félicite et lui propose de bénéficier de l’un des plus prestigieux programmes de bourse d’études, le Fulbright. Mais celui-ci a une clause restrictive : le boursier doit quitter les États-Unis aussitôt après l’obtention de son diplôme. Thierry Tanoh ne veut pas hypothéquer ainsi un avenir qu’il espère radieux. À sa grande surprise, le président Houphouët-Boigny le convoque alors pour le féliciter et lui proposer, à titre personnel, une bourse pour toute la durée de ses études à Harvard. Il n’a pas sollicité le « Vieux », mais la nouvelle de son admission à Harvard pouvait difficilement ne pas parvenir aux oreilles du chef de l’État : la mère de Thierry Tanoh était alors la directrice de l’École des jeunes filles de Yamoussoukro, une institution créée par le président pour former l’élite féminine de son pays. Sauf que madame Tanoh n’avait pas de très bons rapports avec Houphouët : elle se plaignait, à trop haute voix, de ce que les autorités l’obligeaient à faire sortir les élèves des salles de classe pour aller saluer le cortège présidentiel chaque fois qu’un chef d’État étranger venait en visite à Yamoussoukro. Le « Vieux » supportait mal ce type de fronde, mais, en privé, il concédait qu’elle n’avait pas tort.

Boursier personnel de Félix Houphouët-Boigny, Thierry Tanoh arrive donc sur le campus de Harvard, où il aurait pu croiser, une année plus tôt, un certain Barack Obama. Frais émoulu de cette prestigieuse université, il entre à l’IFC en 1994. Il reçoit une formation de chargé d’investissements, puis se spécialise dans les secteurs chimique et pétrochimique. Il travaille sur l’Asie, l’Amérique latine et l’Europe de l’Est. Il se donne beaucoup, mais les promotions ne suivent pas. Jusqu’au jour où, en l’absence de son supérieur hiérarchique, le patron de ce dernier lui demande directement une étude. Il la rend dans un délai anormalement bref et le travail est de qualité. Le chef de son chef, sachant désormais ce qu’il vaut, le sollicite plus souvent. Sa carrière peut décoller.

En 2001, il est affecté à Rio de Janeiro (Brésil), où il travaille sur des projets d’envergure et convainc définitivement. Deux ans plus tard, on lui propose de rejoindre le bureau de Johannesburg, comme directeur régional adjoint. Thierry Tanoh est abasourdi ! Quelle faute a-t-il bien pu commettre pour mériter une telle sanction ? « À l’époque, avoue-t-il, l’Afrique était le département où l’on vous affectait lorsque personne ne voulait de vous ailleurs. » Sa hiérarchie lui oppose un argument massue : « Si vous, Africain qui avez réussi ailleurs, refusez d’aller travailler sur l’Afrique, qui donc voudra y aller ? » Il cède, non sans avoir obtenu la latitude de pouvoir recruter les hommes qu’il faut pour sortir le continent de sa position de cinquième roue du carrosse IFC.

En juillet 2006, il est promu directeur régional pour l’Afrique subsaharienne et devient, deux ans plus tard, vice-président de l’IFC. Cette ascension, Thierry Tanoh la vit avec l’humilité de ceux dont le parcours répond à une traçabilité sans faille. Il est de cette génération née après les indépendances, qui s’assume sans complexe, d’autant plus à l’aise qu’elle est sortie des mêmes moules que l’élite mondiale.

Thierry Tanoh a africanisé son équipe au point d’en inquiéter certains. Mais les résultats sont là : de 140 millions de dollars investis dans sept pays en 2003, l’IFC touche aujourd’hui plus de vingt-cinq États. Ses investissements, passés à 1,4 milliard en 2008, devraient atteindre 1,8 milliard en 2009, et ses programmes d’assistance technique au secteur privé se sont considérablement développés. Ce qui en fait le premier investisseur dans le secteur privé en Afrique subsaharienne. Il est fier du travail réalisé par son équipe, même s’il prévient que les États, pour mériter d’accueillir davantage de capitaux, doivent encore assainir l’environnement des affaires, se doter d’institutions crédibles et de dirigeants capables d’amener leurs peuples à se surpasser.

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Source: http://www.jeuneafrique.com
20/05/2009 – Jeune Afrique- Par : Propos recueillis par Jean-Baptiste Placca

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